Voici qu’en achetant une maison en Île-de-France il y a quelques années, je suis tombé sur un ouvrage de 1944 sur l’enseignement ménager. La « science de la maison » y est décrite en détails et avec méthode, destinée aux écoles du second degré … pour les jeunes filles évidemment. Mais au delà de cette partition sexiste, le contenu reste une base intéressante pour ceux qui aimerait mieux tenir leur maison.

L’enseignement ménager, discipline au féminin

Déjà, c’est une discipline que nos parents ont connus mais pas nous. Selon son auteure, Mme E. Compain, l’enseignement ménager a pour but de préparer les jeunes filles à leur futur rôle de maîtresse de maison.

L’enseignement ménager était une discipline scolaire centrale pour les jeunes filles « de toutes classes sociales » confondues. Qui dit éducation dit manuel, détaillé comme il se doit. Et qui dit manuel dit pédagogue. En l’occurence ici Mme E. Compain, qui a quand même le titre de Professeur d’Enseignement ménager des Collèges techniques de Paris.

C’est certain, les propos sont d’un autre temps. La première édition de cet ouvrage date de 1944. On pourrait rigoler sur le fait que cet enseignement ne soit destiné qu’aux femmes. Et c’est vrai que les temps ont changé, du moins pour les jeunes générations. Mais beaucoup de nos grands-parents et même certains de nos parents ont construit leur dynamique familiale sur un schéma très séparée : la femme à la maison et l’homme au travail.

Centrale dans la scolarité et la fabrique de nombreuses générations de femmes [entre 1880 et 1980], cette éducation ménagère institue les fondements rationnels des façons de faire et des manières de penser les occupations domestiques. La puériculture, l’hygiène alimentaire, la cuisine, l’entretien de la maison, le blanchissage, le repassage, l’entretien des vêtements, la coupe, les divers travaux manuels, le jardinage, les élevages, etc. sont alors des pratiques raisonnées. Conçu au cours d’un siècle comme science des détails, science ménagère, sciences domestiques, sciences appliquées, sciences de la vie heureuse, éducation du consommateur ou technologie du quotidien, l’enseignement ménager est à la fois une discipline scolaire et une action éducative au service des progrès industriels, du bonheur de la famille et de la professionnalisation des femmes.

L’enseignement ménager en France, Sciences et techniques au féminin, 1880 – 1990
Joël Lebeaume, Presse Universitaire de Rennes, 2004

Nécessité de l’enseignement ménager

Je vous réécris ce passage en page 3, car il est intéressant de voir comment était perçue la femme à cette époque. On ne sait pas si le mérite est exagéré pour donner de la consistance à l’activité ménagère ou si l’auteur pense vraiment que c’est une tâche importante et noble. Je pense pour ma part, et on y reviendra plus tard, que l’enseignement ménager serait être utile aujourd’hui … pour tout le monde.

L’enseignement ménager a pour but de préparer les jeunes filles à leur futur rôle de maîtresse de maison.

Avant de commencer cet apprentissage et pour en comprendre toute l’importance, il faut mesurer la grandeur de la tâche qui incombe naturellement à la femme, quelle que soit sa condition sociale.

La femme est l’âme du foyer : elle pourvoit aux besoins matériels de chacun en assurant la nourriture, le vêtement, le logement; elle crée l’atmosphère morale de la famille et contribue ainsi pour une large part à la santé et au bonheur de tous. Elle élève les enfants, surveille leur développement physique, forme leur esprit et dirige leur coeur pour en faire les hommes et les femmes de demain. A ce point de vue, son oeuvre s’étend hors du cadre familial et se répercute dans la société.

Cette noble tâche est difficile à remplir. Elle demande de solides qualités de coeur et d’esprit en même temps que de nombreuses aptitudes physiques. La femme est à la fois le cerveau qui dirige et la main qui exécute. Elle doit donc apprendre la science du ménage et acquérir de bonne heure les qualités nécessaires à l’organisation du travail. Elle s’évitera ainsi les erreurs coûteuses, les fatigues inutiles, les déceptions cruelles. En mettant à profit ses connaissances et ses dispositions naturelles, elle deviendra la véritable gardienne du foyer.

La science de la maison, Cours d’enseignement ménager théorique et pratique, Mme E. Compain, P.3, 1956

Mais dépassons le clivage que ces propos provoqueraient chez certains et regardons un peu ce contenu technique.

Le contenu de l’enseignement ménager

Dans cet ouvrage très complet, on y découvre de nombreuses remarques à propos pour bien comprendre comment fonctionne l’écosystème de la maison. Petite parenthèse au passage, on n’est pas loin du tout du sens du mot écologie, dont l’étymologie est ; du grec « oikos », maison et « logos », science, connaissance. La science de la maison quoi.

Vous allez me dire que gérer une maison n’est pas une discipline et encore moins une science. Je ne suis pas d’accord. Je crois au contraire que la maison en elle-même et de surcroît la vie dans une maison (seul ou à plusieurs) fait entrer en jeu un très grand nombre de paramètres.

Table des matières

A ce titre, la table des matières nous renseigne sur ces paramètres :

• Le chauffage (les combustibles solides, gazeux, liquides et leurs appareils, le chauffage électrique, les appareils culinaires),
• L’éclairage,
• L’entretien (l’eau à la maison, l’évacuation des matières usées, entretien des sols, parois, meubles métaux, gestion des parasites),
• Le linge (Les tissus, nettoyage des tissus, repassage, raccomodage),
• L’alimentation (éléments nutritifs, étude des aliments, aliments animaux et végétaux, aliments nervins – oui moi non plus je ne savais pas ce que c’est)
• La cuisine (principes culinaires, cuissons à l’eau, à l’air, à lhuile à l’étouffée, pâtisseries, composition des menus, ustensiles)
• La puériculture (première enfance, alimentation et hygiène du nourrisson, développement de l’organisme, sevrage-ablactation, alimentation de la deuxième année, protection de l’enfant, maladies de l’enfants, seconde enfance, éducation de l’enfant)
• Soins aux malades (observation du malade, hygiène du malkade, exécutions des prescriptions médicales, soins d’urgence et pharmacie domestique).

Ce livre est rempli de schémas techniques et de tableaux de données. Pour expliquer le fonctionnement des appareils, récapituler les procédés de nettoyage, savoir combien on donne de lait au sein depuis le premier jour du bébé, etc. Par contre rien sur les courses. Vous ne saurez pas comment faire une bonne liste de courses ni comment mieux dépenser les revenus du foyer.

Pas mal non ? Avec tout ça vous allez devenir un cador de la maison dans les années 1950. Vous ferez vous-mêmes le tri entre les bons et les mauvais conseils. Car le monde et les connaissances ont forcément évolué depuis 70 ans que cet ouvrage a été rédigé.

Un manuel daté mais utile

Ce manuel reste, au delà de la disposition de son auteure et de la société à considérer que la gestion de la maison est un penchant absolument féminin, un petit trésor d’informations utiles.

On y trouve des informations théoriques scientifiques et des applications pratiques, très diverses. On couvre à peu près l’ensemble des activités qui se passe dans une maison habitée par une famille. Evidemment, rien sur la domotique, la gestion des écrans, la charge mentale, la paternité, les appareils ménagers modernes, etc.

Par contre, il y a pas mal d’astuces de ces livres et recettes de grand-mères revenues à la mode qu’on connaît. Car l’époque avait au moins ça de bon de ne pas nous inonder de produits chimiques à tous les étages. De dispenser des conseils de bon sens, qui évitent de consommer n’importe quoi.

La science de la maison au secours du partage des tâches ?

Ce manuel pourrait donc servir, bien que daté à bien des égards, à mieux gérer les tâches ménagères en couple. Car on le sait bien, le partage des tâches domestiques constitue, avec celui de l’argent, l’une des premières causes de conflits au sein des couples.

Enfin, cet ouvrage vous éclairera également sur la place de la femme à l’époque. On comprend ainsi mieux le long chemin encore à parcourir pour s’émanciper, au profit d’un rééquilibrage de l’implication masculine dans les tâches du quotidien.